Une petite frousse avant de partir?

Il m'a fallu me rendre à l'évidence qu'il n'y avait rien de bien compliqué à déambuler par moi-même pour explorer l'ancien ghetto de Varsovie, comme ici rue Walicow.

Ce qu'il y a de beau, c'est de rêver. Ce qu'il y a d'effrayant, c'est de se donner les moyens de réaliser ces rêves.


<p>À force d'explorer, de déplier et replier mon plan de la ville de Varsovie, j'ai abouti à la place Zamkowy et près du pont Swietokrzynski.</p>

À force d'explorer, de déplier et replier mon plan de la ville de Varsovie, j'ai abouti à la place Zamkowy et près du pont Swietokrzynski.

(La Nouvelle, Jonathan Custeau/La Nouvelle, Jonathan Custeau)

On me les a toutes servies, les excuses. Jeune, sans enfant, toujours pas propriétaire, un patron flexible, j'ai tout pour moi, semble-t-il. Comme si les billets d'avion, les temps libres et les liasses de billets verts me tombaient dessus par pur hasard. Le pot!

La vérité c'est que se cache souvent derrière les excuses (oui mais les enfants... oui mais mon travail... oui mais...) une peur avouée du dépaysement, de l'inconfort, de l'inconnu. Sûrement pas pour rien que le grand voyageur Bruno Blanchet a intitulé ses livres La frousse autour du monde. Parce que c'est bien ce qu'il y a de merveilleux à prendre le large, à débarquer là où personne ne nous connaît: relever le défi du dépaysement et dépasser nos limites.

Oui, j'ai eu la trouille à la veille de mon départ pour six mois à l'étranger. Impossible de maîtriser chacun des dialectes qu'on me lancerait en plein visage partout dans le monde. Impossible d'avoir la certitude que mon budget tiendra la route. Impossible de prévoir, point.

Et avant ça, avant, avant ce besoin irrépressible de prendre la poudre d'escampette, il y avait cette peur de partir ne serait-ce que pour quelques semaines pour toucher de nouvelles lignes d'horizon.

Ellen Johnson Sirleaf, présidente de la République du Liberia, a dit «Si vos rêves ne vous font pas peur, c'est qu'ils ne sont pas assez grands.» Pour moi, c'est l'orgueil qui a parlé.

Pour ma première escapade solo, j'avais envie de Pologne. Pas la Toscane. Pas la Normandie. Pas la pizza de l'Italie. La Pologne. Par soif d'histoire. Pour me lancer d'emblée vers des routes moins fréquentées. J'ai été servi.

Je me suis embarqué à l'aéroport de Beauvais, près de Paris, vers Varsovie. J'avais en poche un approximatif nie rozumiem po polsku. Je ne parle pas le polonais.

Déjà, dans l'avion, j'ai pris place à côté de Cécile, une Française étudiant à l'Université de Varsovie. Son polonais ne se comparait pas au mien. Non seulement elle le parlait, mais elle le comprenait aussi.

Cécile m'a enseigné la prononciation des mots essentiels, comme przepraszam (excusez-moi), qui, à l'écrit déjà, donne le tournis. Par grandeur d'âme.

À l'atterrissage, elle a hélé un taxi, m'a fait signe de monter, a expliqué au chauffeur exactement où il devait me déposer. J'ai pu souffler un brin.

Mon stress brièvement dissipé est revenu dès le lendemain. En foulant le trottoir pour la première fois, seul parmi tous ces panneaux qui m'apparaissaient illisibles, j'ai eu le coeur serré. Mon billet de retour ne me sortirait de là que deux semaines plus tard. J'aurais pu me recroqueviller dans un coin et regarder fuir le temps. Sangloter et m'apitoyer à ne pas savoir me débrouiller. Je me suis plutôt mis en marche.

Non, je n'ai pas tout compris. L'anglais n'était encore que très peu répandu à Varsovie. Oui, j'avais l'air parachuté du bout du monde en commandant mes premiers pierogis, ces raviolis traditionnels. Oui, j'ai sorti la carte de la ville tellement souvent qu'elle a fini par se déchirer...

Mais j'ai surmonté mes craintes une première fois. J'ai compris que le langage des signes me suffisait pour trouver à grignoter. Que je n'avais besoin que de mes deux jambes pour explorer l'ancien ghetto, pour sillonner les rues bordées des gris édifices communistes, pour trouver le comptoir de beignets aux pétales de rose que Cécile m'avait recommandé.

Il y aura toujours ceux qui attendent qu'on trébuche pour rire de nous. Qui n'auront de respect qu'en constatant qu'on s'est relevé. Et moi, qui m'étais torturé tout le chemin durant, j'en suis venu à ne plus vouloir quitter Varsovie. À vouloir y retourner. Et à vouloir m'offrir un aperçu de tellement de cultures encore.

Précision

Une erreur s'est glissée dans la légende accompagnant la photo publiée la semaine dernière. Les rizières apparaissant sur l'image sont celles de Sapa dans le nord du Vietnam. Le désert de Wadi Rum, en Jordanie, qui était erronément mentionné, est plutôt celui qui vous apercevez dans le bandeau tout en haut de la page.

À noter que vous pouvez aussi suivre mes aventures en temps réel au www.jonathancusteau.com