Un tigre écorché!
Rappelons qu'il n'y a pas si longtemps, l'Irlande faisait figure de modèle à suivre pour son ascension économique : des taux de croissance annuelle de plus 6 pour cent en moyenne, un taux de chômage très bas, un PIB par habitant enviable à environ 60 000 $ par an, une fiscalité très attrayante et compétitive pour les entreprises, un solde budgétaire excédentaire et un niveau d'endettement public très bas. Cette réussite a d'ailleurs valu à l'Irlande l'étiquette symbolique de « tigre celtique», à l'image des tigres asiatiques : une sorte de fierté nationale.
Pourtant, tout bascule en 2008. En effet, on réalise que derrière ce dynamisme de l'économie irlandaise, se cachait une grosse bulle spéculative immobilière. Lorsque celle-ci éclate, elle entraîne dans son sillage l'ensemble du secteur bancaire. Le gouvernement doit agir : sans son intervention (une opération qu'on pourrait qualifier de quasi-nationalisation), le secteur bancaire aurait été techniquement mis en faillite, et l'économie du pays se serait littéralement écroulée.
Cette recapitalisation du secteur bancaire (environ 40 % du PIB) aura des conséquences négatives très importantes sur les indicateurs économiques du pays. Le PIB recule de 3,5 % en 2008 et de 7,5 % en 2009; le taux de chômage qui se situait à environ 4,5 % en 2007, grimpe à 12 % en 2009; et la situation budgétaire du pays se creuse subitement. D'un léger surplus en 2007, on passe à un déficit budgétaire de plus de 7 % en 2008, de 14 % en 2009 et de 32 % en 2010. Quant à la dette, elle passe de 25 % du PIB en 2007 à presque 100 % en 2010 (OCDE/FMI). Tout d'un coup, c'est toute la réussite de l'Irlande qui semble remise en question.Sacrifices énormesDevant cette situation budgétaire intenable et son incapacité à se financer sur les marchés, le gouvernement irlandais n'a d'autre choix, à l'automne 2010, que de se tourner vers la Troïka (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI) pour obtenir de l'aide. Celle-ci accorde au gouvernement irlandais une aide de 85 milliards d'euros, contre l'adoption d'un plan d'austérité de grande envergure.
Pour les citoyens irlandais, la pilule est dure à avaler. Premièrement, parce que les mesures adoptées - dans le cadre de ce plan d'austérité - pour redresser l'économie se traduisent, nécessairement, par des baisses de dépenses sociales, des abolitions de postes dans la fonction publique, des gels (ou diminutions) des salaires, des hausses des taxes, etc. Deuxièmement, ce n'est pas un plan d'austérité, mais huit, consécutifs en trois ans, que les citoyens irlandais vont subir. Résultat : une baisse substantielle de leur niveau de vie et un PIB par habitant, aujourd'hui, d'environ 50 000 $ (soit 10 000 $ de moins qu'en 2008).
Au moins, contrairement aux autres pays fragiles de la zone euro (comme la Grèce ou l'Espagne), les Irlandais peuvent se consoler à l'idée que la recette de la rigueur mise en place dans leur pays semble porter ses fruits et que les résultats qui en découlent sont pour le moment probants. Le pays est à nouveau sur le chemin de la croissance (2 % du PIB en 2012 et 2,4 % en 2013), les exportations atteignent doucement leur niveau d'avant la crise, les capitaux et les multinationales sont de retour sur le sol irlandais, le marché immobilier retrouve petit à petit son aplomb et le déficit a été abaissé à 8 % du PIB. De plus, depuis l'été dernier, le pays est de nouveau capable de se financer sur les marchés et ses obligations se négocient à des taux très favorables, signe que la confiance des investisseurs est de retour.Le coeur à la fête!Enfin, l'Irlande vient de conclure cette semaine un accord historique avec la Banque centrale européenne, qui allègera de 20 milliards d'euros la dette découlant du sauvetage de ses banques, notamment de l'Anglo Irish Bank. À cet égard, le premier ministre irlandais, Enda Kenny, s'est félicité de cet heureux dénouement : « C'est une étape historique sur le chemin du redressement économique [qui] sécurise la situation financière future de l'État, tout en réduisant le fardeau pour les contribuables irlandais «.
C'est toute une bonne nouvelle pour les Irlandais, qui ont été les premiers à faire les frais de ces sauvetages. Et le 17 mars prochain, journée de la Saint-Patrick, lorsqu'ils regarderont tous les sacrifices qu'ils ont dû faire ces dernières années, ils auront certainement davantage le coeur à la fête.
Une pause salutaire, en attendant la suite...
Khalid Adnane est économiste et professeur
à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/ZWWDPTKLNRA43OOUFDCY2QCHSI.jpg)